lundi 11 juin 2007

L'enseignement de l'histoire au Québec

Nous présentons la version révisée d’une chronique portant sur l’enseignement de l’histoire au Québec parue le 10 février 2000. Il y est question de « sentiment identitaire ». Partant, cette notion est liée aux concepts de nations différentes et de nations distinctes.

Le sentiment identitaire, s’il n’est pas dévoyé, aspire normalement à devenir distinct et à exprimer un « sentiment national ». Or, ce sentiment d’« être distinct » n’a plus rien à voir avec le fait d’« être différent », car des peuples semblables sous certains égards peuvent être indépendants l’un de l’autre, tandis que pour d’autres, cette différence ne les empêche pas de s’identifier à tel autre peuple étranger.

Dans l’optique indépendantiste, le fait même d’être indépendant, séparé, puis de vivre à l’intérieur d’un territoire national, ne signifie pas que la coopération, la collaboration et les rapports de voisinage sont ipso facto exclus. Ils peuvent être même enrichissants dans la mesure où la marge de manœuvre constitutive de l’autonomie interne et externe de la nation indépendante ou distincte s’exerce normalement et suffisamment.


Par conséquent, pour un « sujet collectif », la conscience d’être distinct constitue un préalable essentiel à l’indépendance nationale.

Bruno Deshaies
Montréal, 20 juin 2007

· Renvoi :

« Être DISTINCT avant d’être DIFFÉRENT. » VIGILE.NET : Chronique du jeudi 21 juin 2007. Voir : http://www.vigile.net/article7324.html

· Quelques références sur la publication de la version non-révisée de cet article

http://www.rond-point.qc.ca/rond-point/histoire/default.htm (no 11 pour l'article 2.)

http://www.vigile.net/ds-deshaies/index.html (13 chroniques portant sur « L’enseignement de l’histoire au Québec)

http://www.vigile.net/spip.php?page=archives&u=/archives/ds-deshaies/index.html (voir no 187)

http://www.google.ca/search?sourceid=navclient&hl=fr&ie=UTF-8&rls=RNWE,RNWE:2005-38,RNWE:fr&q=deshaies+le+sentiment+identitaire

· En plus :

Bruno Deshaies, «
De la DIFFÉRENCE à la DISTINCTION. » Mémoire présenté aux audiences de la Commission sur l'avenir constitutionnel du Québec (autrement appelée la Commission Bélanger-Campeau) créée par le Gouvernement du Québec. Québec, 5 novembre 1990.


2. Mémoire et histoire : le sentiment identitaire

REMARQUE PRÉLIMINAIRE. L’enseignement de l’histoire au Québec déborde sûrement le thème de cette rubrique : « Indépendance : pour ou contre ? » Toutefois, cette question est tellement associée, dans les esprits, à l’avenir du Québec, qu’il est difficile de la dissocier de la question nationale. C’est pourquoi, dans les semaines à venir, nous allons entreprendre une série d’articles sur le thème de l’enseignement de l’histoire. B.D.

La question de l’identité québécoise préoccupe non seulement les universitaires mais aussi les leaders politiques et sociaux. L’identité est devenue un maître-mot. Au Congrès annuel de l’Acfas, en 1998, un colloque s’est tenu qui portait sur « La différence en question ». Oui, le Québec est différent, mais l’identité québécoise est difficile à définir. Les auteurs du colloque notent que « chaque fois qu’il a fallu définir avec quelque précision l’identité québécoise, éclairer le contenu de ce Nous collectif omniprésent dans le discours nationaliste, la tâche s’est révélé ardue ». (*) D’après l’historien Jocelyn Létourneau, « le poids du passé, bien plus que les tourments existentiels et identitaires d’une nation présumément en déficit d’accomplissement et en demande de différence, sont au coeur du malaise canadien à l’heure actuelle. »

L’allusion au « poids du passé » fait certainement référence à l’histoire du Québec, du Canada, du Canada-Français et de la colonisation française en Nouvelle-France. Cela dit, ce « poids du passé » que peut-il signifier pour « ce Nous collectif » aujourd’hui ? De quelle histoire s’abreuve-t-on pour connaître le présent des Québécoises et des Québécois. Quand on pense aux Français, est-ce qu’on pense à des individus pris nominalement ou, plutôt, à la collectivité française qui s’exprime à l’intérieur de la nation et de l’État français ? Pour le Québécois qui est aussi Canadien, est-ce la même analogie qu’entre être Français et Européen ou entre être Corse et Français ou encore être Breton et Français ?

Mémoire et histoire

On dirait au Québec que la mémoire est d’un côté et l’histoire de l’autre. La mémoire rappelle aux Canadiens-Français qu’ils descendent de Français ; aux Canadiens-Anglais leur appartenance au monde britannique ; aux Autochtones qu’ils sont les premiers possesseurs du sol ; chez les groupes multiculturels, elle les relie à leur pays d’origine ; chez les Juifs, elle les enracine dans leurs fondements religieux ; enfin, toutes ces mémoires ne semblent pas se reconnaître à l’intérieur du Québec. Pourtant elles semblent toutes se rallier à l’État canadien. L’histoire suit des voies divergentes qui rendent presque impossible une conception unifiée du Québec par rapport à son passé, son présent et son avenir. On sait que le peuple québécois est constitué de tous ces gens qui ont façonné et qui façonnent au jour le jour le Québec d’aujourd’hui. Leur histoire ne peut être celle de la diversité des identités prises séparément, mais de l’identité québécoise. C’est là où le bât blesse !

Le sentiment identitaire québécois

Le sentiment identitaire québécois ne peut pas être une mosaïque : il est québécois ou il ne l’est pas ! Être même et autre, en même temps, relève de la quadrature du cercle, c’est de la schizophrénie. Et la population du Québec ne peut sortir de ce dilemme sans quitter les schèmes d’interprétation historique qui nous font nous ignorer nous-mêmes pour nous-mêmes. (**) Cette transformation de la pensée des Québécois-Français ne peut être nulle autre que la renonciation définitive de la tradition lafontainiste depuis l’acceptation de l’Union de 1840. La mémoire des Québécois-Français leur fait accepter l’annexion et l’histoire a réalisé sur eux leur annexion dans le Grand Canada. Si la volonté et la liberté existent dans l’histoire, elles peuvent transformer la situation. L’irréparable d’hier pourrait, demain, devenir réparable. Un Québec-Français pour des Québécois-Français, dans l’unité québécoise, serait possible. De cette manière, une nouvelle mémoire, plus dynamique, pourrait enfin naître qui ne serait plus celle de la survivance, de la soumission, de la subordination, de l’annexion et finalement de l’assimilation, qui en est la conséquence inéluctable quand l’annexion se prolonge. (***)

Peut-être qu’un jour les Québécois-Français pourront dire d’eux-mêmes ce que l’historien français Alphonse Dupront a pu dire des Français : « Ainsi les Français désormais eux-mêmes. » Et plus loin : « Aujourd’hui la dissociation est accomplie entre mythe et réalité. La France est dans le monde, mais distincte de lui. » (****) C’est la fin du processus de formation d’une nation qui atteint la plénitude de son identité. La mémoire se confond avec l’histoire et l’histoire surveille la mémoire pour qu’elle ne délire pas.

(30)

BRUNO DESHAIES
Montréal, 20 juin 2007



NOTES


(*) 66e Congrès de l’Acfas, Université Laval du 11 au 15 mai 1998, Colloque 509 du Programme général, p. 188-189.

(**) Voir « Lire Séguin » par François Robichaud. « Le bilan qu’a dressé Maurice Séguin, écrit François Robichaud, n’a peut-être rien de consolant, et s’en formaliser est compréhensible. Quoi qu’il en soit, toute situation offre la possibilité, sinon d’une solution objective, du moins d’une mise en valeur subjective, d’une libération par l’esprit ; qui comprend la vraie nature de l’oppression essentielle échappera par là même aux servitudes psychologiques qui en procèdent, ce qui est déjà beaucoup. »

(***) Nous recommandons à tous ceux qui se penchent sur la question nationale au Québec de lire attentivement cette page de l’historien Maurice Séguin.

(****) Dans « Du sentiment national », in La France et les Français, sous la direction de Michel François, Paris, Gallimard, 1972, p. 1448 et 1471, coll. « Bibliothèque de la Pléiade ». Il s’agit du premier texte qui ouvre la section intitulée : « La France et le monde » sous le grand titre : « Unité de la nation française ». N. B. Cette analyse d'Alphonse Dupront du « SENTIMENT NATIONAL » pourrait guider les pas des Québécois quant à une réflexion sur l'objet de la nation distincte, soit sur cette conscience québécoise du sentiment complexe de la NATION au sens intégral.

* * *

BRUNO DESHAIES a été, durant près de huit ans, directeur de la Division de l’enseignement des sciences de l’homme à la Direction générale de l’enseignement élémentaire et secondaire (DGEES), entre 1969 et 1977, au ministère de l’Éducation du Québec. De plus, il a enseigné l’histoire et la didactique de l’histoire à l’École normale Jacques-Cartier et l’histoire au baccalauréat des adultes à l’Université de Montréal ainsi qu’au baccalauréat des HEC durant les années 1960. Il a participé à la création de l’UQAM et à son département d’histoire dans les années 1967 à 1969. Après quoi, il a surtout oeuvré au sein du ministère de l’Éducation. Il a été chargé de cours à l’Université Laval et à l’UQAC. Durant de nombreuses années, il a enseigné à l’UQAC la didactique des sciences humaines au primaire et l’histoire de l’éducation au Québec. Il a publié chez Beauchemin, en 1992, Méthodologie de la recherche en sciences humaines (qui a été traduit en portugais par l’Instituto Piaget à Lisbonne) et Histoire de deux nationalismes au Canada de Maurice Séguin chez Guérin, en 1997. En collaboration, il a aussi publié Comment rédiger un rapport de recherche (1964/1974) chez Leméac. Il est présentement directeur du site Internet : « Le Rond-Point des sciences humaines ». Depuis la fin de 1999, il contribue à la Chronique du jeudi sur le site Internet VIGILE.NET.



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