samedi 12 août 2017

Comment en finir avec nos incompréhensions nationales ?


Maurice Séguin nous permettrait de résoudre l’imbroglio.

Bruno Deshaies  2017-08-12 




La très controversée lutte des Patriotes au cours des années 1830 vient de reprendre avec Philippe Couillard, le 22 mai, à l’occasion de la fête officielle de la Journée nationale des Patriotes. Le drapeau des Patriotes ne sera pas hissé au sommet de l’édifice du Parlement à Québec. Le chef du Parti libéral s’est opposé à le faire.

Le 1er juin,  pour se reprendre et montrer son ouverture d’esprit, il profite d’un contexte politique qui lui est défavorable pour dévoiler précipitamment sa «Politique d’affirmation du Québec et  de relations canadiennes».  Il veut  saisir, dit-il, «une  occasion  de  réengager  un  dialogue  significatif  sur  la  place  des  différentes  composantes  nationales  du  pays» (p. 2). Se faisant, il est stupéfié par l’option indépendantiste. Mais il occulte sciemment le drame national du statut d’un Québec fédéré.

Pour sa part, le gouvernement Trudeau maintient, en 2017, une énième offensive massive d’appropriation de l’histoire à des fins de valorisation du passé pour la consolidation d’une mémoire canadian, soit de la défense de l’idéologie fédéraliste et aussi d’une conscience nationale pan et pro-canadienne d’un océan à l’autre. D’où l’imbroglio pour la majorité d’origine canadienne française et de tous les autres qui adhèrent à la civilisation canadienne-française québécoise de se prévaloir de la reconnaissance du statut de nation indépendante.

Histoire DU Canada ou histoire DES deux Canadas ?


Dès les années 1940, au sujet de l'histoire du Canada, l’historien Maurice Séguin s’interrogeait déjà sur l’article défini «du» qui devrait plutôt être remplacé par l'article indéfini «des» au pluriel, soit l’histoire des deux Canadas.  Ses lectures, ses analyses des documents, son souci de vouloir comprendre la Grande histoire ainsi que ses réflexions sur l’histoire des nations l’on finalement conduit à la conception d’un précis qu’il a intitulé Les Normes. Dès l’Introduction, il s’explique :

«Ces normes s’apparentent à un exposé logique (au lieu d’un exposé chronologique).
C’est presque de l’histoire.  Pour qui connaît l’histoire traditionnelle, ces définitions indiqueront immédiatement le sens de la nouvelle interprétation.»

Il s’est donné la tâche de rédiger un véritable compendium en vue de répondre au besoin d’un savoir approprié à l’étude du «national » qui se rapporte aux relations entre les collectivités ― sans toutefois sous-estimer l’importance du «social». Il clarifie explicitement son point de vue dans Histoire de deux nationalismes au Canada (Guérin, Éditeur, 1997, p. 5). Il écrit :

«Le nationalisme n'épuise pas toute la réalité dans l'histoire.  Le nationa­lisme n'est pas le seul aspect important.  Il y aurait, par exemple, à tenir compte de la dimension sociale.  À lui seul, le social demanderait un long exposé.  Nous n'avons pas le temps de nous arrêter à cet aspect de la réalité.  Je crois qu'il est plus utile d'étudier d'abord l'aspect national.»

Ce qui peut nous faire comprendre que Maurice Séguin n’est pas le père du néonationalisme comme certains tentent de nous le faire croire. Plutôt, il est essentiellement le créateur d’une pensée ordonnée afin de mieux analyser les phénomènes primordiaux de la vie des individus, des sociétés ou des nations afin d’expliquer les effets de leur trajectoires historiques. À la question : « Qu’est-ce que l’histoire ? » Giambattista Vico répond : «L’histoire est le témoin du temps.» Car il y a toujours en histoire un avant, un pendant et un après (hier-aujourd’hui-demain). Les strates du temps ne doivent pas être occultées. Voici le conseil de l’historien Guy Frégault, spécialiste de l’histoire de la Nouvelle-France, au sujet du temps présent. Je cite :

«Le sol de la culture présente plusieurs strates. En profondeur, on heurte un socle de siècles ; à la surface, le vent de l’actualité agite une poussière d’événements.» (Guy Frégault, Chronique des années perdues, Montréal, Leméac, 1976, p. 59.)

En ce sens, Les Normes veulent échapper à ce travers de discontinuité de la temporalité de l’histoire. Elles cherchent à comprendre la durée et le changement ― les causes et les effets mais aussi l’explication historique.

Les Normes en histoire de Maurice Séguin


Ce véritable vade-mecum propose une approche universelle de la Grande histoire.  Voici comment l’auteur s’explique à ce sujet.

 «On ne parvient à l’acte essentiel du travail historique : le choix des faits, le jugement, l’appréciation, qu’en recourant, non pas à des recettes mais à des normes dont la valeur, la richesse et la complexité dépassent et déclassent les procédés méthodologiques.»

Pour y parvenir, il a choisi un style qui doit être mis en lumière. D’abord, il a voulu exprimer sa pensée dans un langage qui n’exige pas nécessairement d’avoir un dictionnaire à côté de soi.  Pourtant, les idées sont fortement concentrées et solidement structurées. Il faut prendre le tout et les parties et vice versa.  Globalement, c’est sous la forme d’un ensemble d’énoncés qui  alimentent d’idées ses raisonnements pour chacune des parties de l’œuvre. Par exemple, la section consacrée au «nationalisme» est placée dans le cadre de la division intitulée : «Tentative de décrire la nation». Vous n’y trouverez pas une miette de cette affreuse connotation de «néonationalisme» mais plutôt une description du fait nationaliste. On n’est pas dans l’historiographie mais dans l’Histoire.

L'édition que je propose de cet opus magnum est une version authentique accompagnée d'un appareil critique qui met en évidence la structure et les nuances de la pensée de Maurice Séguin. Elle couvre l'époque de la rédaction de sa thèse de doctorat, puis de celle de 1946 à 1956 où il a saisi l’occasion, en 1956, de présenter une communication à la réunion annuelle de la Canadian Historical Association  tenue à l’Université de Montréal. Il expliqua son interprétation de «La notion d’indépendance dans l’histoire du Canada : 1. Le concept d’indépendance d’une collectivité ; 2. La courbe historique de l’indépendance des deux Canadas.»  
Dans de ce résumé, on trouve l’essentiel de la «nouvelle interprétation» de l’histoire du Canada français avant et après 1760.

Voilà une histoire que tous les Québécois et Québécoises devraient connaître avec objectivité. Mais il y a un hic ! Le problème consiste à trouver un éditeur au Québec. Quant au milieu universitaire, il est réfractaire au problème des deux nationalismes au Canada. Pourtant, le fait existe de la distinction, au-delà de sa différence, de la société nationale québécoise dans le système canadian.  N’existe-t-il pas aussi une façon d’être Québécois en tant que nation indépendante ? La question se pose depuis de nombreuses générations de «Canadiens».

Une nouvelle approche et une nouvelle interprétation de l’histoire canadienne


Cette œuvre originale et unique permettrait, entre autres,  d’éclairer la population sur les enjeux du thème «Fédéralisme et nationalités» dans son chapitre consacré à la «sociologie du national». Le public québécois pourrait découvrir toute la perspicacité de son analyse sur les deux thèses qui se heurtent entre la «foi» indépendantiste et la «foi» fédéraliste. Cette analyse critique vaut pour tous les types d’«union fédérale» des États fédéraux ou de quasi-union fédérale. Dans cette perspective, il est possible de comprendre le statut de la nation «lorsqu’elle ne parvient pas à obtenir un État souverain». Dans un tel cas de figure, cette nation est une nation annexée : elle subit une «subordination sur place et superposition».  

Au sujet du fédéralisme, il décortique les trois optiques de cette réalité : 1. L’optique indépendantiste ; 2. L’optique impérialiste et 3. L’optique fédéraliste.  Il écrit  au sujet de l’indépendance :

«La notion d’indépendance d’une nation ne peut donc porter, d’une manière générale, que sur l’ensemble d’un groupe d’individus qui se reconnaissent comme une collectivité distincte et une, sans trop s’interroger sur les parties…
Les nations souveraines sont en réalité des empires où souvent l’assimilation des éléments n’est pas toujours terminée…» [Les points de suspension sont de Maurice Séguin.]

Toute la pensée politique devrait s’enrichir de cette œuvre unique pour se libérer des illusions fédéralistes. Et voir enfin la différence entre le «national» et le «social».  Puis de se dire que :

«Tout nationalisme complet est séparatiste.
Le nationalisme est le contraire de l’isolationnisme.  
La coopération internationale n’est possible que s’il y a nation”.»

Bien sûr, les fédéralistes vous diront le contraire ! Est-ce la preuve qu’ils ont raison ? Eux aussi doivent voir les deux côtés de la médaille en ayant à l’esprit que la notion de vie d’une société se rapporte essentiellement à la notion d’agir (par soi) de cette société. Ce serait se gouverner soi-même et vivre avec les autres, dans la collaboration, mais par soi collectivement. N’est-ce pas un bien en soi ?


Bruno Deshaies, historien et auteur du site Internet Le Rond-point des sciences humaines. 



 

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